
Avis d'experts
Numérisation
Réduire la fracture numérique en Europe

Miryam Aranzadi
Consultante en projets européens
Intelligence artificielle
Ces entités soutiendront les secteurs public et privé, y compris les startups, dans le développement de modèles de pointe
Responsable de l'équipe spécialisée dans les Programmes européens
L’Union européenne a identifié l’intelligence artificielle comme une technologie clé pour son avenir et doit relever le défi de se positionner en tant que leader dans le développement d’une intelligence artificielle fiable et éthique. Ce domaine est essentiel pour que l’Europe atteigne une autonomie stratégique, réduisant ainsi sa dépendance technologique vis-à-vis des pays tiers et renforçant ses propres capacités.
Rappelons que dès 2018, la Stratégie européenne sur l’intelligence artificielle exposait la vision de la Commission européenne quant à son potentiel transformateur, tout en alertant sur les risques d’un développement incontrôlé. Cette stratégie prévoyait une évolution rapide des technologies d’intelligence artificielle, grâce à l’augmentation de la puissance de calcul et à l’accès à des masses de données pour l’entraînement des modèles. Cependant, le rythme et l’ampleur des progrès ont largement dépassé les attentes. Ces dernières années, en plus des modèles d’intelligence artificielle générative devenus immensément populaires, des avancées spectaculaires ont eu lieu dans des domaines comme l’apprentissage profond, le traitement du langage naturel, la vision par ordinateur ou encore l’apprentissage par renforcement.
Dans le prolongement de cette stratégie, la Commission européenne a lancé en janvier 2024 un nouveau paquet sur l’innovation dans ce domaine. Ce plan propose des mesures concrètes pour offrir aux startups un accès aux ressources de supercalcul, établir des programmes de formation, renforcer les capacités des chercheurs et praticiens, et soutenir les PME dans l’adoption de solutions basées sur l’intelligence artificielle. Il vise également à encourager la collaboration public-privé pour créer un écosystème d’innovation. Parmi les initiatives proposées, la création des usines d’intelligence artificielle occupe une place centrale pour stimuler le développement technologique.
Ces entités sont conçues comme des écosystèmes dynamiques rassemblant les éléments clés pour accompagner les secteurs public et privé dans le développement de modèles d’intelligence artificielle de pointe. L’idée est de créer un point d’accès centralisé pour faciliter la conception, l’entraînement et la validation de modèles à grande échelle en fournissant infrastructures et services. Parmi ces services, on peut citer la formation à ces modèles, le renforcement des compétences, l’assistance technique, ainsi que l’accès à des réseaux de collaboration.
Ces usines d’intelligence artificielle seront centralisées ou distribuées et offriront l’accès à des ressources de supercalculateurs. Il pourrait s’agir d’un superordinateur optimisé pour l’intelligence artificielle ou d’une partition d’un supercalculateur dédiée à l’intelligence artificielle. Autour de ce noyau se trouveront des infrastructures pour le stockage de données, des réseaux à haut débit, des ensembles de big data pour l’entraînement, des environnements de développement, et du personnel qualifié.
La métaphore de l’usine est pertinente pour comprendre leur fonctionnement. Imaginez de grandes usines numériques où chercheurs, entreprises et startups (les travailleurs) accèdent à des superordinateurs (les machines), à d’immenses jeux de données (la matière première) et à des outils de développement avancés (le processus de production) pour créer des applications d’intelligence artificielle comme des chatbots, des assistants virtuels ou des systèmes de recommandation.
Les usines d’intelligence artificielle ne doivent pas être confondues avec les dispositifs sectoriels de test et d’expérimentation, lancés ces dernières années. Si les premières se concentrent sur l’accès à des superordinateurs pour développer et entraîner de grands modèles d’intelligence artificielle, les secondes offrent des environnements contrôlés où les entreprises peuvent tester et valider des technologies d’intelligence artificielle dans des secteurs spécifiques (santé, agriculture, etc.), avant leur déploiement dans le monde réel. En d’autres termes, les usines privilégient les infrastructures et le développement algorithmique, tandis que les dispositifs de test et d’expérimentation se spécialisent dans la pratique et la validation de solutions concrètes.
La question du financement est essentielle pour assurer le succès de ces usines. Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 prévoit des fonds significatifs pour le développement et le déploiement des technologies numériques, dont l’intelligence artificielle. En plus du programme Horizon Europe, qui finance la R&D et l’expansion des startups dans ce domaine, le programme Digital Europe soutient les investissements dans l’implémentation de ces technologies et la formation à leur utilisation.
Digital Europe, notamment, devrait être le principal levier de soutien pour la création et le fonctionnement des usines d’intelligence artificielle, avec une participation des États membres et des entreprises. Dans le cadre du paquet Innovation en intelligence artificielle, une modification du règlement relatif au partenariat public-privé dans le calcul intensif (EuroHPC) a été approuvée pour intégrer les usines d’intelligence artificielle comme nouveau pilier de ses activités.
Ce programme allouera des fonds supplémentaires pour acquérir ou optimiser des supercalculateurs dédiés à l’intelligence artificielle, former des experts et lancer des collaborations avec des initiatives connexes. Deux appels à manifestation d’intérêt ont déjà été lancés pour identifier les premières entités qui accueilleront ces usines.
Les usines d’intelligence artificielle contribueront à l’autonomie stratégique de l’Europe et renforceront son écosystème d’innovation. Elles soutiendront la recherche et le développement d’intelligence artificielle européenne dans de nombreux secteurs. Cependant, des défis se profilent, notamment la disponibilité d’un financement adéquat : bien que des fonds publics soient déjà mobilisés pour les infrastructures et le fonctionnement des usines, il reste à voir comment le cofinancement privé, national et régional sera assuré.
Un autre défi majeur est la pénurie de talents en intelligence artificielle en Europe. Il sera crucial d’attirer et de former les compétences nécessaires pour gérer ces infrastructures. De plus, les usines devront naviguer dans le cadre réglementaire européen, en particulier la loi sur l’intelligence artificielle, sans alourdir les coûts et complexifier le développement de cette technologie. Enfin, il faudra gérer les enjeux éthiques et sécuritaires liés aux grands modèles développés dans ces usines, en particulier pour la protection des droits fondamentaux et de la vie privée.
Les usines d’intelligence artificielle incarnent un engagement stratégique de l’Union européenne pour consolider sa position de leader dans ce domaine. Celles-ci sont appelées à devenir les moteurs de l’innovation en Europe, en favorisant le développement de nouvelles technologies, la création d’emplois et l’amélioration de la qualité de vie. Le rapport de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne souligne d’ailleurs l’importance de l’intelligence artificielle pour maintenir l’Europe à la pointe de l’innovation et considère déjà ces usines comme des leviers essentiels pour exploiter son potentiel dans de nombreux secteurs.
Siège de Bilbao
Responsable de l'équipe spécialisée dans les Programmes européens
Avis d'experts
Numérisation
Miryam Aranzadi
Consultante en projets européens
Avis d'experts
HORIZON EUROPE
Jorge Lorente
Consultant senior en Projets européens
Avis d'experts
Fonds pour la sécurité intérieure
Filippo Giacinti
Consultant, expert en sécurité
Actualités
STEP
L’UE lance le portail STEP pour mobiliser des investissements dans les technologies critiques
Avis d'experts
Numérisation
Miryam Aranzadi
Consultante en projets européens
Publications sectorielles
Rapport Draghi
Dans ce document, nous analysons les recommandations du rapport Draghi et les opportunités pour renforcer la compétitivité européenne