La mise à jour de l’Agenda stratégique de recherche et d’innovation (SRIA, en anglais) pour le transport maritime à zéro émission (ZEWT), publiée l’année dernière, vise à accélérer la transition de ce secteur en Europe d’ici 2050. Il ne s’agit pas seulement de réduire les émissions de dioxyde de carbone, mais aussi de limiter celles des oxydes d’azote, des oxydes de soufre et des particules fines, tout en éliminant les rejets polluants en mer. L’impact environnemental des infrastructures portuaires devra également être pris en compte, tout comme la nécessité de prévenir les effets indirects négatifs sur la biodiversité et les ressources naturelles. Audrey Kelle, référente pour le sujet maritime au sein du domaine d’expertise Transport chez Zabala Innovation, souligne l’importance des trois axes techniques de la SRIA : « L’innovation dans les technologies de propulsion, l’optimisation énergétique des navires et l’intégration de carburants alternatifs durables ».
Quels sont les fondements de ces axes ?
Ils ont été choisis parce qu’ils répondent aux besoins immédiats du secteur maritime tout en préparant sa transformation à long terme. Ce sont aussi des axes en phase avec le principe du rétrofit, qui consiste à moderniser les navires existants, plutôt que d’en construire des nouveaux, maximisant le rapport coût-bénéfice pour le secteur.
Quels sont les technologies de propulsion qui peuvent transformer le secteur maritime ?
L’un des principaux enjeux est la propulsion vélique assistée, qui repose sur l’intégration de voiles rigides automatisées ou de kites [voiles géantes], qui permettent de réduire la consommation de carburant de 20 % à 30 % selon les trajets. Un exemple en est Winnew, un projet d’OceanWings que Zabala Innovation a eu l’honneur d’accompagner jusqu’au succès. L’électrification partielle, avec l’utilisation de batteries haute capacité ou de supercondensateurs, est également en plein essor, notamment pour les ferries et les navires effectuant de courtes distances.
Et les innovations qui peuvent augmenter l’efficacité énergétique des navires ?
Actuellement, les ailes solaires, les systèmes de lubrification par air, les carènes optimisées, et l’utilisation de jumeaux numériques pour la gestion en temps réel des performances énergétiques sont quelques-unes des innovations clés permettant de réduire la consommation de carburant et les émissions. Un exemple en est Marpower, un projet auquel Zabala Innovation est partenaire. Ce projet développe une turbine à gaz flexible permettant l’utilisation de carburants alternatifs (méthane, hydrogène ou ammoniac), atteignant un rendement électrique compris entre 50 % et 55 % et un rendement thermoélectrique de 76 %.
Quels obstacles majeurs entravent l’intégration des carburants alternatifs dans les systèmes de propulsion traditionnels ?
Les principaux défis incluent la compatibilité des moteurs existants avec ces carburants, leur stockage sécurisé à bord, le coût élevé des infrastructures de ravitaillement et la disponibilité limitée des filières d’approvisionnement durables, en particulier à grande échelle.
Quels sont les combustibles alternatifs les plus prometteurs pour réduire les émissions dans le secteur maritime ?
L’ammoniac vert, par exemple, ne produit pas de CO₂ lors de sa combustion, mais son utilisation nécessite des moteurs adaptés ou des piles à combustible haute température. Il pose néanmoins des défis liés à sa toxicité et à son stockage cryogénique. Le méthanol vert est une autre alternative intéressante : plus facile à manipuler que l’ammoniac, il peut être utilisé dans des moteurs bi-carburants et brûle de manière plus propre, limitant ainsi les émissions d’oxydes d’azote et de particules fines. Certaines compagnies maritimesont d’ailleurs déjà investi dans des navires fonctionnant avec ce carburant. L’hydrogène liquide représente également une option prometteuse, notamment pour les navires équipés de piles à hydrogène, mais il nécessite un stockage cryogénique à -253 °C, ce qui pose des contraintes en termes d’infrastructures et d’espace à bord.
Quid du captage et du stockage du carbone ?
Il existe aujourd’hui des systèmes embarqués capables de piéger le CO₂ directement à l’échappement des moteurs. Ce CO₂ peut ensuite être stocké sous forme liquide à bord avant d’être transféré vers des infrastructures de stockage sous-marin ou utilisé pour des applications industrielles.
Quelles sont les particularités et les défis spécifiques du secteur maritime en matière de décarbonation ?
Les contraintes ne sont effectivement pas les mêmes par rapport à d’autres secteurs. Le maritime doit faire face à longue durée de certains trajets et donc à un besoin d’autonomie élevée avec des infrastructures portuaires adaptées, et à des investissements lourds pour le renouvellement des flottes et la modernisation des navires existants, sans forcément en construire de nouveaux afin d’optimiser les coûts.
Comment le secteur maritime peut-il surmonter les obstacles liés à l’électrification des navires ?
L’électrification peut être accélérée, entre autres, par le développement de batteries haute capacité pour les trajets courts, l’hybridation avec d’autres technologies pour les longs trajets, et la mise en place d’infrastructures de recharge rapide dans les ports. Les avancées en stockage d’énergie et en électrification des ferries et navires côtiers sont prometteuses. Mais il existe une question de standardisation et d’homologation des batteries pour le maritime, ce qui peut prendre du temps.
Quel rôle les ports peuvent-ils jouer dans la transition vers un transport maritime plus vert et moins émetteur de CO2 ?
Ils font partie intégrante des challenges pour décarboniser le secteur maritime, avec l’électrification des quais, le développement de hubs de ravitaillement en carburants alternatifs, l’optimisation des opérations logistiques, et l’intégration des énergies renouvelables pour alimenter les infrastructures maritimes.
De quelle manière la numérisation peut-elle accélérer la décarbonation du secteur maritime ?
Elle joue un rôle clé, notamment en optimisant l’efficacité énergétique des navires et en réduisant leurs émissions. Grâce aux avancées technologiques, il est aujourd’hui possible d’affiner les itinéraires en temps réel en tenant compte des conditions météorologiques et des courants marins. Les jumeaux numériques et l’intelligence artificielle permettent ainsi d’optimiser la navigation, ce qui se traduit par une consommation de carburant réduite et donc moins d’émissions de CO₂.
Comment la gestion énergétique des navires bénéficie-t-elle des avancées technologiques ?
Elle a énormément progressé avec l’intégration de capteurs IoT et de systèmes de gestion intelligents, capables d’ajuster automatiquement la consommation en fonction des besoins réels. Cette approche est complétée par la maintenance prédictive, qui analyse en continu les performances des moteurs et des équipements afin d’anticiper d’éventuelles défaillances. En optimisant ainsi l’entretien, on évite des surconsommations inutiles et on prolonge la durée de vie des installations.
Quel impact la numérisation a-t-elle au niveau des ports ?
Dans les ports, les plateformes numériques facilitent la coordination des escales. En synchronisant précisément les arrivées et départs des navires avec les infrastructures portuaires, on réduit le temps d’attente à quai et, par conséquent, l’utilisation des moteurs auxiliaires, ce qui diminue encore les émissions. Enfin, l’essor des systèmes d’automatisation et de contrôle avancés transforme la gestion des opérations maritimes : avec l’IA embarquée et l’edge computing, certaines décisions, comme l’ajustement de la propulsion ou des voilures pour les navires hybrides, peuvent être prises en temps réel, sans intervention humaine, afin d’optimiser encore davantage l’efficacité énergétique.
Quels dispositifs de financement existent en France pour accompagner la décarbonisation du secteur maritime ?
Des fonds comme France 2030, les appels à projets de l’Agence de la transition écologique (Ademe), et le Comité d’orientation pour la recherche et l’innovation des industriels de la mer (Corimer) soutiennent l’innovation maritime. Le Corimer finance des projets stratégiques pour le maritime durable, notamment sur les navires zéro émission, l’optimisation énergétique et les nouveaux carburants. Il mobilise des fonds publics et privés pour accompagner le développement industriel et accélérer la transition écologique du secteur. Son appel à projets est actuellement ouvert et une première relève se tiendra le 16 mai 2025, tandis que la seconde se déroulera en octobre. Chez Zabala Innovation nos équipes ont beaucoup d’expertise sur ce type d’initiatives et nous pouvons accompagner aussi bien des entreprises porteuses de projet en individuel que des consortiums.
Quels programmes européens soutiennent la décarbonation du secteur maritime ?
Le programme Horizon Europe comprend des appels à projets visant le développement de nouvelles technologies de propulsion et d’efficacité énergétique, en particulier dans le cadre du Cluster 5 (Climat, Énergie, Mobilité). Les topics du partenariat Zero Emission Waterborne Transport sont également inclus dans les appels de ce cluster, avec des dates de clôture prévues pour septembre 2025.
Existe-t-il d’autres initiatives européennes dans ce sens ?
Depuis l’année dernière, la call Net Zero Technologies du programme Innovation Fund intègre le domaine du maritime. Parmi les projets financés dans le cadre de l’appel 2023, cinq initiatives de grande envergure accompagnées par Zabala Innovation ont été sélectionnés, marquant ainsi un taux de succès deux fois supérieur à la moyenne. L’appel à projets 2024 est en cours et la date limite est fixée au 24 avril prochain. Il est tard pour s’y positionner vu l’investissement en temps nécessaire pour la préparation du dossier, mais c’est une initiative reconduite chaque année. Il y a aussi le programme Connecting Europe Facility (CEF) Transport, qui soutient à la fois la modernisation des infrastructures portuaires dans l’appel traditionnel, dont la clôture est prévue pour janvier 2026, ainsi que le déploiement d’infrastructures vertes pour le secteur maritime (alimentation en énergie depuis le quai, bunkering d’ammoniac et de méthanol, stations de recharge pour véhicules électriques) dans sa priorité AFIF. Les deux dernières dates de clôture de cette dernière seront le 11 juin 2025 et le 4 mars 2026.