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Commission européenne

Perspectives pour l’industrie et le climat en 2024

Rapports Pacte Vert UE 2024
Gabriele Gaffuri

Gabriele Gaffuri

Consultant senior, expert en projets d’Économie circulaire

La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, se prépare au sprint final de son mandat. À l’approche des élections au Parlement européen, qui se tiendront en mai, Bruxelles finalise un certain nombre de dossiers d’importance stratégique pour des secteurs industriels clés, et note que quelque 70 règlements liés au climat doivent encore être adoptés au cours des deux prochaines années. Dans ce cadre, le bureau de Zabala Innovation dans la capitale belge a été invité à un déjeuner-débat avec le directeur général de l’action pour le climat (DG Climat), Kurt Vandenberghe, qui venait d’arriver de la COP28 à Dubaï.

Le cadre législatif du Pacte Vert pour l’Europe, conçu dès le départ comme un « agenda pour la croissance et l’innovation », a guidé les politiques européennes au cours des quatre dernières années. Les ambitions ont été clairement fixées sous le mandat de Mme Von der Leyen, notamment avec le paquet Fit for 55, qui comprend la révision du système d’échange de quotas d’émission de l’UE, le règlement sur la divulgation des informations relatives à la finance durable ou encore le paquet sur l’économie circulaire.

À l’heure actuelle, l’UE n’a « pas d’autre choix que de maintenir le cap du Pacte Vert pour l’Europe », a souligné M. Vandenberghe lors du déjeuner. En effet, après les efforts considérables déployés pour élaborer la législation adéquate afin de relever les défis environnementaux, sociaux et économiques de la prochaine décennie, il a révélé qu’à partir de 2024, la Commission européenne devra se concentrer davantage sur un « programme de mise en œuvre ». Les investissements devront accompagner ce processus, à tel point que le directeur général s’attend à ce que la prochaine Commission soit une « Commission de l’investissement ». Cette idée est fortement soutenue par l’ensemble du secteur de la R&I de l’UE, car sa mise en œuvre permettrait de financer davantage de projets innovants, d’actions d’élargissement et, en général, de soutenir davantage l’industrie et la recherche.

Le printemps 2024 se présente donc comme la dernière opportunité pour la publication des études et rapports cruciaux les plus attendus dans le cadre du Pacte Vert pour l’Europe, avant la fin du mandat actuel de la Commission européenne. Cette dernière vague de publications devrait avoir un impact majeur sur la politique climatique, environnementale et énergétique de l’UE, ainsi que sur l’allocation correspondante des fonds de l’UE au sein de ses programmes de R&I tels qu’Horizon Europe (mais aussi le prochain programme-cadre), Innovation Fund, les actions Marie Curie (MSCA), le Conseil européen de l’innovation (EIC), LIFE et d’autres.

Rapports à venir

Pour donner une idée des dossiers politiques les plus importants qui sont encore en cours d’élaboration, M. Vandenberghe a présenté une vue d’ensemble des rapports les plus attendus.

Première évaluation des risques climatiques de l’UE

En 2023, le changement climatique a encore exacerbé ses effets négatifs, comme le montrent des données empiriques sans précédent. L’année dernière a été la plus chaude jamais enregistrée, avec des températures mondiales atteignant des niveaux alarmants, soulignant la nécessité urgente de s’attaquer à la crise climatique. Dans les régions de l’Arctique et de l’Antarctique, les calottes glaciaires se réduisent considérablement et la température des océans augmente de façon déconcertante. En conséquence, la chaleur de la mer perturbe les écosystèmes marins et augmente la fréquence et l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes.

Cependant, seuls 30 % des risques liés au changement climatique sont couverts par une forme d’assurance. Afin de dresser un tableau plus précis des impacts et des risques actuels et futurs du changement climatique sur l’environnement, l’économie et la société en Europe, la DG Climat et l’Agence européenne pour l’environnement ont commencé en mai 2022 à travailler sur le premier rapport d’évaluation des risques climatiques de l’UE. Sa publication, désormais prévue pour mars, sera le premier travail complet à inclure des risques climatiques complexes tels que les risques transfrontaliers, les risques en cascade et les risques composés.

L’importance de ce rapport pour le secteur des programmes de financement de l’UE se traduira par des objectifs plus ambitieux que les projets pourront fixer et atteindre (également grâce aux données et indicateurs unifiés qu’il fournira), dans les missions d’Horizon Europe (Adaptation au changement climatique, Océans, Villes, Sols), ainsi que dans les clusters, à travers le programme LIFE, ou dans les projets financés par l’entreprise commune Circular Bio-based Europe et le Partenariat pour la recherche et l’innovation dans la région méditerranéenne. Cette relation de cause à conséquence dans les rapports politiques et l’ambition des programmes de financement connexes est de la plus haute importance, car l’agenda climatique de l’UE est aussi son agenda économique et financier, un message que M. Vandenberghe souligne clairement.

Stratégie de l’UE pour le captage et le stockage du carbone

Le directeur général a présenté la compétitivité industrielle et l’innovation comme des éléments clés de l’économie de l’UE. Il s’agit d’un point extrêmement important, qui a également été souligné par la présidente Von der Leyen dans son dernier discours sur l’état de l’Union, toujours soutenu par des représentants de la recherche et de l’industrie de toute l’Europe.

Selon M. Vandenberghe, les industries à forte consommation d’énergie ont la possibilité d’intensifier considérablement leurs efforts. Cela est particulièrement vrai dans les secteurs de l’acier et de l’aluminium, où les technologies de décarbonisation existent déjà, mais ont encore besoin d’un financement important, tant du côté privé que du côté public, pour être mises à l’échelle. Il convient également d’ajouter qu’un financement accru ne suffit pas, mais qu’il doit s’accompagner d’un réexamen des principales analyses de rentabilité pour les entreprises impliquées dans les efforts de R&I dans les secteurs critiques et stratégiques pour l’économie de l’UE.

Le captage et le stockage du carbone peuvent être appliqués à un certain nombre d’installations industrielles à forte intensité énergétique, tandis que les technologies de captage et d’utilisation du carbone permettent de réutiliser le carbone capté, ce qui accroît sa circularité et réduit potentiellement ses émissions dans l’atmosphère. Bruxelles reconnaît que ces deux technologies jouent un rôle important dans l’effort de décarbonisation de l’UE. Elles sont de plus en plus réglementées et financées par les institutions européennes et les gouvernements nationaux. Le captage, le stockage et l’utilisation du carbone peuvent également être utilisés pour la production d’hydrogène à faible teneur en carbone dans la première phase de mise en œuvre de la stratégie de l’UE dans cette matière, qui est un autre élément pertinent sur le plan industriel pour les projets financés par la Commission européenne.

Voilà pourquoi Bruxelles publiera la stratégie de l’UE pour le captage, le stockage et l’utilisation du carbone le 6 février prochain, dans une communication provisoirement intitulée Stratégie de gestion industrielle à zéro émission nette de carbone. Cette communication fait suite à une consultation publique ouverte l’été dernier sur cette question, après une première communication et une seconde proposition, les deux rédigées par la Commission européenne.

En termes d’efforts de R&I pour les projets industriels, cette stratégie aura un impact positif concret sur le rôle croissant d’Innovation Fund, à la fois dans les projets à petite, moyenne et grande échelle et dans la auction de la Banque européenne de l’hydrogène lancée sous l’égide de ce programme. Le captage, le stockage et l’utilisation du carbone constitueront également une technologie pertinente pour les topics liés à l’industrie dans le cadre d’Horizon Europe, en particulier ceux des partenariats Processes4Planet et Batt4EU, Zabala Innovation étant impliquée et bien positionnée dans ces deux domaines.

Rapport sur la compétitivité industrielle de l’UE

Mentionné pour la première fois à l’automne dernier, lors du discours sur l’état de l’Union, le rapport sur la compétitivité industrielle analysera les défis auxquels l’industrie et les entreprises sont confrontées dans le marché unique de l’UE et sera préparé par un groupe dirigé par l’ancien président de la BCE, Mario Draghi. En l’annonçant, Mme Von der Leyen a justifié la nécessité de cette étude par le fait que l’Europe fera « tout ce qu’il faut pour maintenir son avantage concurrentiel » dans le secteur industriel.

La Commission européenne estime que ce rapport aura un fort impact sur la scène internationale, compte tenu de la crédibilité du panel d’auteurs et de la pertinence des questions abordées. Nous savons maintenant qu’il sera publié en juin ou juillet.

L’industrie de l’UE ne peut pas perdre son avantage concurrentiel si la transition environnementale de son économie est mise en œuvre avec succès, selon Bruxelles. Toutefois, comme l’a expliqué M. Vandenberghe, depuis la publication du Pacte Vert pour l’Europe en 2019, de nombreux facteurs ont changé au niveau international : les États-Unis sont passés d’un leadership présidentiel non scientifique à un leadership démocratique, qui soutient fortement leur économie nationale par le biais de la loi sur la réduction de l’inflation, ce qui constitue « une bonne opportunité pour les entreprises de l’UE, tant qu’elles restent concentrées sur les affaires en Europe également ».

La Chine est devenue le leader de la production et de l’investissement dans les technologies propres et a également de grandes ambitions en matière d’atténuation du changement climatique, ce qui pourrait déclencher une concurrence positive au niveau mondial. Les pays africains, qui affirment progressivement leur présence sur la scène internationale, aspirent désormais à être le « continent des solutions » contre le changement climatique et ont besoin d’investissements substantiels pour diversifier leurs économies. Dans toutes ces macro-régions, les réglementations affectent les industries de l’UE et ont des effets importants sur l’environnement à l’échelle locale et mondiale.

Comme Zabala Innovation coordonne le projet SET-IndEU, en soutenant l’équipe spéciale de mise en œuvre du SET Plan sur l’utilisation durable et efficace de l’énergie dans l’industrie et travaille régulièrement avec des centaines d’acteurs industriels à travers l’Europe, nous examinerons de près ce rapport afin d’étudier ses effets combinés avec les dernières réglementations telles que la loi sur l’industrie du net zéro et la loi européenne sur les matières premières critiques. Sa publication fournira également des informations précieuses sur un certain nombre de secteurs qui sont essentiels pour développer la R&I en Europe.

Évaluation des plans nationaux pour l’énergie et le climat

Lors du déjeuner avec Vandenberghe, il a été également annoncé que, le 18 décembre 2023, la Commission européenne publierait l’évaluation actualisée des plans nationaux pour l’énergie et le climat (PNEC) pour la période 2021-2030, ainsi que des évaluations individuelles et des recommandations spécifiques pour les 21 États membres qui ont soumis leur projet de plan dans les délais, ce qui s’est finalement produit. Les documents sont disponibles par pays sur le site de la Commission européenne.

Zabala Innovation, en collaboration avec l’Alliance européenne pour la recherche énergétique, promeut le forum des 11 plateformes européennes de technologie et d’innovation (ETIP), une initiative ascendante visant à favoriser la communication entre ces plateformes et les partenariats assimilés. Sous cette égide, un certain nombre d’ETIP ont lancé une collaboration pour définir des recommandations communes sur les PNEC révisés, qui apporteront une contribution et des conseils précieux à la Commission européenne.

Conclusion

Si l’on considère l’ensemble des réflexions et des idées véhiculées par le directeur général, on peut en déduire que le Pacte vert pour l’Europe vise à donner un véritable coup de fouet innovant à l’économie de l’UE, car « sa croissance repose sur l’innovation ».

Le message de M. Vandenberghe a été salué et soutenu par l’ensemble du secteur de la R&I, notamment lorsqu’il a admis que « l’agenda de la prochaine décennie devrait se concentrer sur la dématérialisation, qui consiste à faire plus avec moins d’intrants matériels, tandis que l’agenda de la présente décennie devrait se concentrer sur la décarbonisation, en particulier du secteur de l’énergie ». Selon le mandataire, des secteurs tels que l’agriculture, l’alimentation et les boissons doivent faire des efforts beaucoup plus importants. L’élimination du carbone devra monter en flèche, grâce aux technologies naturelles et industrielles, et l’économie circulaire devra être mise en œuvre à grande échelle dans tous les secteurs économiques de l’UE.

Ces trois priorités, si elles sont bien mises en œuvre, auront un impact tangible sur la société européenne et constitueront une référence concurrentielle pour les projets de R&I, les sites de démonstration et les activités de mise à l’échelle dans l’UE. L’économie européenne a prospéré grâce à la concurrence, à la coopération et à la solidarité, qui resteront les paradigmes d’une transition environnementale à grande échelle.

Celle-ci aura du succès simplement parce que le coût de l’inaction, dont les journaux et nos vies sont remplis, est terrifiant. L’impératif de coopération et d’action concertée pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et promouvoir des pratiques durables n’a jamais été aussi pressant : les programmes de financement de l’UE ont déjà alloué des fonds considérables à cette fin. Les chercheurs, les innovateurs et les entrepreneurs européens auront la possibilité et la responsabilité partagées de maximiser leur impact.

Notre expert(e)

Gabriele Gaffuri
Gabriele Gaffuri

Siège de Bruxelles

Consultant senior, expert en projets d’Économie circulaire